Exposition visible jour et nuit, 24h/24 et 7j/7, du 1er au 2 octobre 2016, dans le cadre du parcours artistique de la Nuit Blanche, à la Galerie Saint-Séverin. La visite est totalement gratuite.

Vernissage le 29 septembre 2016 de 19h à 21h. 

Anne-Lise Broyer, Elle est ravissante, accrochage, 2016, Galerie Saint-Séverin, Paris.

L’artiste, Anne-Lise Broyer

Artiste plasticienne née à Lons-le-Saunier en 1975, elle vit et travaille à Nogent-sur-Marne.

Étudiante à l’ENSAD (École Nationale Supérieure des Arts Décoratifs) de Paris et l’Atelier National de Recherches Typographiques, elle fréquente les bibliothèques et les salles de cinéma. Cette formation l’amène notamment à interroger la relation qu’entretient la photographie avec les autres arts. Elle questionne plus particulièrement les zones de frottements, d’intersection entre le dessin et la photographie, conjuguant ces deux médiums afin d’atteindre un certain trouble.

Anne-Lise Broyer souhaite ainsi faire du lieu de révélation que représente la photographie ou le dessin, l’analogon d’un espace mental où quelque chose prendrait corps, un souvenir, une réminiscence ou une vision, un fantasme… Le travail d’Anne-Lise Broyer véhicule une part de mystère, mais peut-être que son secret ne réside pas tant du côté de la chose vue que du côté de celui qui regarde.

Ses livres d’artiste sont publiés aux éditions Filigranes, aux éditions Nonpareilles et aux éditions Verdier. Elle expose régulièrement en France et à l’étranger. Son travail est représenté par La Galerie Particulière à Paris et à Bruxelles. Il est visible sur le site de l’artiste

Anne-Lise Broyer, Elle est ravissante, Installation, 2016, Galerie Saint-Séverin, Paris.

Elle est ravissante, par Anne-Lise Broyer
Le point de vue du commissaire

Artiste plasticienne photographe, Anne-Lise Broyer élabore depuis ses débuts son projet artistique en puisant ses thèmes dans les écrits de certains de nos grands écrivains et penseurs afin de matérialiser, puis de traduire, telle ou telle séquence sous la forme d’un récit en 2 ou 3 dimensions, et ce, avec une subtile et sensible précision géographique. Cette forme d’investigation, propre à l’artiste, lui confère une totale liberté d’expression. C’est ainsi qu’elle développe un travail où la photographie argentique, aux teintes sophistiquées et légèrement altérées par le choix du grain de la photo, est sublimée par un rehaut de dessin. En effet, pour révéler certains détails d’un paysage qu’elle choisit délibérément de ne pas faire apparaître au moment du tirage, elle dessine à la mine graphite directement sur la gélatine. Puis, le volume et la sculpture intègrent son œuvre par le truchement du textile et de ses multiples techniques. Ainsi, la photographie, le texte, et la sculpture sont devenus les éléments expressifs de l’artiste.


Anne-Lise Broyer, Elle est ravissante, Installation, 2016, Galerie Saint-Séverin, Paris. Photo Voir & Dire.

Anne-Lise Broyer propose avec Elle est ravissante une version « scénographiée » de la mort de l’écrivaine Laure (1903-1938), son nom de plume, la compagne de l’écrivain Georges Bataille (1897-1962) de 1934 jusqu’à sa mort. Ce passage dans l’inconnu, toujours difficile mais aussi quelquefois libérateur, prend la forme d’une ode poétique écrite en trois strophes libres composées, ici, de deux photographies et d’une sculpture. Malgré l’éventuelle tristesse du thème, les images travaillées par l’artiste nous abandonnent dans une réalité adoucie par le choix des teintes d’or. La photo qui montre la tombe de Laure envahie par les mauvaises herbes devient le sol, un tapis de dorure, puis celle qui matérialise sa mort par l’écrit de Georges Bataille devient portrait. Un portrait qui capte les reflets dorés à l’instar de la rose déposée là, par l’artiste, en hommage à Laure. Il s’agit d’une sculpture composite due à la greffe d’une rose naturelle séchée, et de quelques pétales et feuilles tissés en dentelle aux fuseaux par Mylène Salvador-Ros dont la technique hors norme a permis de “mêler” des fils de soie et de nylon avec des cheveux naturels, en l’occurrence ceux de l’artiste, qui apparaissent telles une offrande, une matière vivante, une humanité. Cet hymne à Laure, ayant eu une vie ni simple, ni facile, mais plutôt complexe, se remplit de lumière et de douceur avec cette rose qui, si elle est amenée à disparaître en pâlissant et en se délitant, laisse, avec ses quelques pièces faites de dentelle, la trace réelle de la pérennité. La fleur devient modèle, devient personnage puisqu’elle propose un dialogue, un échange, un don, un cadeau comme celui fait par Georges Bataille à Laure : une rose “couleur d’automne” qu’il venait de trouver dans le jardin en friche.

La Rose, considérée comme la reine des fleurs par la poétesse grecque Sappho (vers 630-580 av. J.-C.), est dans notre culture judéo-chrétienne un symbole lié à la mort heureuse et qui « colle à la peau » de sainte Rita (1381-1457). A l’aube de sa mort en plein hiver, elle demande à sa cousine d’aller lui cueillir une rose, symbole des grâces qu’elle sait obtenir, qui la trouve, et la lui remet. Ensuite, l’illustre peintre français Simon Vouet (1590-1649) peint La Vierge à l’Enfant – à la rose (1639) en conférant à cette fleur une expression emplie de grâce créant le lien invisible entre la Mère et l’Enfant. Il y a aussi sainte Thérèse de l’Enfant Jésus, née en 1873 à Alençon, ville dentellière, qui meurt en 1897 à Lisieux et qui promet, après sa mort, de faire tomber sur terre une pluie de roses, une pluie de beauté et de bonté. Enfin, la rose peut aussi exprimer à travers la photographie des sentiments subtils, un voile de nostalgie, comme de la buée sur une vitre que le photographe tchèque Josef Sudek (1896-1976) saisit pour La dernière rose (1956). On y voit trois roses de jardin, baignant dans un verre, qui regardent la vie passer et s’effacer derrière la fenêtre de son atelier. Avec l’œuvre Elle est ravissante, Anne-Lise Broyer offre, quant à elle, un paysage, élément vivant et récurrent chez l’artiste, où la beauté du propos peut être salvatrice.
Yves Sabourin, commissaire – 2016.

Anne-Lise Broyer, Elle est ravissante, détail, 2016, Galerie Saint-Séverin, Paris.

Le point de vue de Martine Sautory

Anne-Lise Broyer, plasticienne et lectrice de Georges Bataille de longue date, poursuit depuis plus de quatre ans un travail photographique des lieux biographiques et littéraires de l’écrivain. Son installation Elle est ravissante tente de restituer les derniers instants que Laure (Colette Peignot 1903-1938) et Georges Bataille (1897-1962) partagèrent autour d’une rose « couleur d’automne ». « Prendre une fleur et la regarder jusqu’à l’accord ». Le spectateur fera l’expérience de cette communion entre celle dont le nom se murmure comme un passeport pour l’abîme et celui qui rencontra en elle, l’impossible.

A l’aplomb de la vitrine une rose séchée violine appelle le regard. Disposée, tel un point de bascule, sur un papier peint sépia au motif végétal blanc, celle-ci n’a rien d’une fleur habituelle. Des pétales et une feuille, brillamment exécutés en dentelle aux fuseaux par Mylène Salvador-Ros avec les cheveux de l’artiste, la complètent. Délicate, elle irradie de sa présence et nous mène à travers les buis de la photo de la tombe de Laure à Fourqueux jusqu’au récit de son agonie par Georges Bataille, accroché au mur. 

En écho à l’église Saint-Séverin, Anne-Lise Broyer choisit de présenter sous forme de reliquaire pour Laure, sainte de l’abîme, l’intensité de sa relation avec l’écrivain. Le flouté de la photo, les manques reconstitués par le travail arachnéen de la dentellière et la maîtrise de l’espace traduisent avec sensibilité cette ultime union avant la séparation et le passage dans l’au-delà. Laure nous échappe comme la fleur s’apprête à disparaître, laissant derrière elle, un message. Dernier message visible de celle qui n’est déjà plus.
Martine Sautory, presse – 2016.

 

En savoir plus :
Voir & Dire
Art Hebdo Media

 

Direction : Olivier de Bodman
Programmation : 
Yves Sabourin
Coordination :
Martine Sautory

Légende de la photo : Anne-Lise Broyer, Elle est ravissante, détail, 2016, Galerie Saint-Séverin, Paris. Photo Voir & Dire.