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Exposition visible de 15h à 19h, du 21 janvier au 14 février 1999, à la Galerie Saint-Séverin.
L’artiste, Christophe Cuzin
Né en 1956 à Saint-Siméon-de-Bressieux, dans l’Isère. Christophe Cuzin fait ses études à l’école des Beaux-Arts de Besançon, puis à l’Université de Paris VIII.
« Christophe Cuzin est un arpenteur d’espace, un artiste de la présence et de la discrétion. La discrétion car l’artiste a l’élégance de ne pas ajouter d’objet à la masse des objets que nous produisons et qui nous encombrent depuis la nuit des temps. La présence, en ce que toute son œuvre est affaire de relever ce que tout le monde voit mais que personne ne regarde
La couleur qui est son outil autant que sa marge de liberté, est une affaire de mémoire, un peu sentimentale et romantique. Elle fait signe à celui qui observe, mais jamais totalement de la même manière d’une personne à l’autre. C’est pour cela que l’artiste les choisit franches et sans modulation, afin qu’elles interpellent et se donnent pleinement à celui qui les découvre. »
Texte Galerie Bernard Jordan
Christophe Cuzin a expose en 1999 au Musée Zadkine (Paris), à l’Ecole des Beaux-Arts de Rouen et à l’Ecole d’art et de design de Reims, en 1998 au Centre d’art contemporain de la ferme du Buisson (Noisiel) et en 1997 à l’Ecole d’art de Belfort, au Musée d’art et d’histoire de Belfort, à Galerie de l’Ecole des Beaux-Arts de Valence, au Musée d’art moderne de Saint-Etienne, et à la MACC (Fresnes).
Les vitraux, la mise en couleur et l’aménagement liturgique de l’église Saint-Martin de Lognes par Christophe Cuzin
Depuis longtemps, le travail de Christophe Cuzin se distingue par sa cohérence. Depuis plus longtemps encore, les prescriptions de l’Eglise catholique en matière de construction et de décoration de ses lieux de culte font preuve d’une extraordinaire continuité. C’est sans doute cette rencontre qui rend exemplaires les propositions de l’artiste pour l’église paroissiale Saint-Martin de Lognes.
Depuis la fin de l’année 1986, les éléments des œuvres de Christophe Cuzin sont prédéterminés, à partir d’une sorte de répertoire qui en liste les possibles variations: le dessin (un trait de treize centimètres de large) est symétrique, la forme linéaire, le format rectangulaire et obéissant à une proportion constante, les couleurs rabattues par l’addition du gris et limitées à deux tons mats par toile. Il s’agit là d’un véritable vocabulaire, au sens où l’histoire de l’abstraction en a déjà produit plusieurs exemples dont seule l’ancienneté peut les faire tenir aujourd’hui pour évidents.
Le choix des éléments de ce vocabulaire, leurs combinaisons sont déterminés par les caractéristiques du lieu de présentation. Ce travail a donc conduit à une véritable « désautonomisation » de la peinture, qui en justifie l’emploi par l’utilisation d’un principe le plus déductif possible, mettant en avant d’abord les conditions de possibilité de la peinture avant de proposer un espace pictural disponible, où les spectateurs peuvent s’insérer. Lorsque Cuzin renonce à la forme du tableau de chevalet (sans l’exclure complètement), c’est à l’instant et au lieu contingents qu’il a affaire, de la manière la plus précise qui soit, Au lieu d’un espace absolu, imaginaire ou métaphorique, le spectateur se trouve renvoyé à l’espace architecturé, ici et maintenant.
On l’aura compris, la conception que se fait Christophe Cuzin de son activité de peintre inclut depuis longtemps la création d’un véritable espace public, c’est- à-dire d’un espace de vie. Les modalités de création de cet espace peuvent varier, mais reste fondamentale la façon dont le travail de peinture peut mettre à disposition un espace. La façon dont la peinture produit, de ce qu’elle touche, une « mise à disposition » (pour un destinataire qu’il n’est pas dans son rôle de définir). Il ne s’agit pas ici de prétendre, comme certains voudraient le croire, qu’il soit du pouvoir de l’art de rétablir un lien social apparemment déliquescent. Il s’agit plutôt de participer, ici et maintenant, à la définition d’un certain type d’espace possible. Il y a là comme une humilité redoublée i: non seule- ment les œuvres s’inscrivent dans la tradition de dépersonnalisation inaugurée par Mondrian et poursuivie par des artistes comme Ellsworth Kelly, qui évite que le spectateur ait à subir la présence de la subjectivité du créateur. Bien plus, elles n’imposent pas leur présence, qui pourrait facilement être oubliée. Cette humilité des interventions est la condition même des transformations en profondeur du lieu où elles s’opèrent. Même si, au premier abord, elles ne semblent pas modifier fondamentalement l’espace, la simple révélation de cet espace est en elle-même une transformation profonde.
A une occasion déjà, Christophe Cuzin a pu confronter son travail à un espace religieux (au sens strict de ce mot, qui renvoie précisément à sa fonction de créer un lieu, incarné dans une communauté définie). En 1995 en effet, il plaça dans l’église Saint-Pierre de Marnans, église romane de son enfance, une suite de seize toiles rectangulaires dont le dessin se réduisait progressivement, aboutissant dans chacun des deux bras du transept à un tableau carré avec une seule forme centrale. Tout conduisait à rendre la plus discrète possible la présence des œuvres, peintes d’une couleur proche à la fois de la toile vierge (bisson) et d’une possible robe de bure, leurs formes n’étant définies que par la réserve de la peinture.
Christophe Cuzin, Les vitraux, la mise en couleur et l’aménagement liturgique de l’église Saint-Martin de Lognes, 1999.
Photo ACF / Paris.
En intervenant sur un nouveau bâtiment cultuel, Cuzin s’est trouvé confronté à un lieu à la fois déjà chargé d’une histoire pour ainsi dire sentimentale (du fait de son usage par plusieurs générations de fidèles) et en même temps largement dévalorisé sur un plan esthétique. C’est la totalité de l’espace intérieur de l’édifice qui a fait l’objet d’une nouvelle élaboration, accompagnée de quelques interventions en des points cruciaux de l’extérieur. Il n’existe en quelque sorte qu’une seule référence matérielle, celle du bâtiment déjà construit, avec quelques détails caractéristiques et quelques principes structurels (l’artiste ne se transforme ainsi nullement en architecte). Il existe surtout une référence fonctionnelle, celle de la destination du lieu, dont il est exemplairement tenu compte. Pour de nombreux choix, l’artiste est donc conduit à trouver dans ses propres formes la source de la détermination d’autres formes. Par ailleurs, les spécificités du lieu l’obligent à introduire dans son travail de nouveaux éléments, tels que les imposent par exemple les nécessités liturgiques, en ce qui concerne la présence requise de symboles explicites (selon le concile Vatican Il, « la vérité et l’harmonie des signes qui composent la maison de Dieu doivent manifester le Christ qui est présent et agit en ce lieu »).
Est alors inventée une symbolique qui convient canoniquement au lieu, en même temps qu’elle s’insère au sein du travail de l’artiste. Il en va ainsi notamment pour les oculi des deux chapelles latérales. Celui du baptistère porte en motif de métal un cercle parfait symbolisant la naissance chrétienne, en même temps qu’il est littéralement le redressement des fonds baptismaux ; celui de la chapelle est, consacré à saint Martin est un cercle séparé en deux parties, évoquant le partage du manteau. II en va de même pour les dessins des vitraux de la nef qui vont se simplifiant pour accompagner le regard vers le chœur, tout en symbolisant dans une mise en correspondance symétrique de l’Ancienne et de La Nouvelle Alliance, les douze apôtres et les douze tribus d’Israël, les quatre évangélistes et les quatre fleuves de l’Eden (on retrouve cette volonté processionnelle dans la remarquable idée de matérialiser le chemin de croix en plaçant au sol treize carrés de granit noir qui se dirigent vers l’autel).
L’un des exemples les plus remarquables de cette symbolisation est celui des trois vitraux du chœur.
Revenant sur une première idée qui attribuait à chacun des trois murs supports une couleur différente, Christophe Cuzin en a d’abord unifié la gamme, qui désormais joue de l’éclaircissement progressif des tons à partir du gris foncé de la tribune, pour aboutir au blanc du mur nord (celui qui se trouve derrière l’autel, ainsi manifesté comme le « centre de l’église » qu’il doit être). Il a procédé de même pour la couleur des vitraux et pour leur décor : sur les deux vitraux latéraux, une barre médiane interrompue au centre, l’une verticale, l’autre horizontale; sur le vitrail central, une croix. L’artiste souligne que la croix centrale apparaît ainsi comme le résultat de deux orientations fondamentales de la géométrie et de la vie, en même temps qu’est suggérée une dimension trinitaire. Ces croix se détachent, qui plus est, sur des verres légèrement teintés et sur une baie centrale incolore, respectant les couleurs de la lumière naturelle.
L’art abstrait est ainsi utilisé par Christophe Cuzin d’une façon qui lui fait produire des significations. La peinture —cet assemblage archaïque de couleur et de dessin-, le vitrail —cette ancestrale diffraction de la lumière qui devient ainsi couleur- sont utilisés pour eux-même, sans faire appel à quoi que ce soit d’extrinsèque. Et pourtant, ils produisent du sens. Mieux encore, ils montrent leur capacité à produire un espace pour l’homme. Grâce à cette transformation humble, l’édifice devient pleinement religieux (au sens où le terme désigne la constitution d’un lien avec l’altérité, humaine et divine). Il devient lieu de culte ou de rassemblement, où compte d’abord ce culte ou ce rassemblement.
L’œuvre d’art y est d’autant plus grande qu’elle fait oublier sa présence, qu’elle s’efface devant ce qu’elle recrée : un lieu véritable.
Eric de Chassey, « Christophe Cuzin : l’abstraction comme mise à disposition », dépliant Eglise de Lognes Christophe Cuzin, 2000.
Légende de la photo : Christophe Cuzin, Les vitraux, la mise en couleur et l’aménagement liturgique de l’église Saint-Martin de Lognes, 1999. Photo ACF / Paris.